top of page
Photo du rédacteurAurelie Rodrigo

De la terre à la bouteille , ce métier « d'acharné »

Ils exercent par passion, par amour ou pour faire perdurer la tradition familiale. Seulement, la passion ne fait pas tout. Plongez dans le quotidien de ceux qui font le vin, noble produit français. De ceux qui, du matin au soir, de l'hier à l'automne suivant, de la terre à la bouteille, ne faiblissent pas. Vigneron, ce métier « d'acharné ».


Seuls les tout premiers rayons du soleil sont levés. La rosée du matin n'a même pas encore réchauffé. Pourtant, Thierry, lui est déjà au milieu des vignes. « Lorsque le vigneron commence sa journée, même le coq n'a pas encore chanté », plaisante Pascal. Les deux hommes ne se connaissent pas, mais ils ont beaucoup en commun. La terre, la vigne, le raisin, le chai, le vin... Tous les deux savent chaque rouage de ce métier « d'acharné », comme le qualifie si bien Thierry. Lui ne fait pas de la vigne son activité principale. Pourtant il en remplit ses journées. Le Bordelais a hérité des terres et un chai de sa famille. Depuis, par passion, il perpétue la tradition. De son côté, Pascal exerçait à plein temps. Pendant quarante années il vivait au rythme des saisons, selon les caprices de la météo, poussé par une nouvelle surprise chaque jour. Son activité le passionnait, pour autant il a fini par s'en dégoûter.


D'œnologue à viticulteur


Après quelques routes sinueuses, bordées de vignes et de châteaux connus dans le Fronton, Pascal m'attend. Je m'engage dans une allée d'oliviers au bout laquelle se dresse un domaine. Contrairement au village de Thierry, ici toutes les briques sont rouges, couleur toulousaine. Les pieds de raisin bordent l'arrière du château à perte de vue. « C'était ici même! Là où je faisais le vin, où je le vendais, et le plus important là où je récoltais le raisin! » Pas l'ombre d'un sentiment de nostalgie pour Pascal. Son jean bleu et ses Stan Smith cassent le style chic de sa chemise à manche longue, couleur ciel. Il m'entraîne. « Derrière ses grandes portes en bois, c'est le chai. Là où l'on stocke le vin, dans de grandes cuves en aciers. La partie la plus intéressante du travail », commente-t-il dans un éclat de rire qui vient fendre le silence de la saison estivale sur les vignes. Il poursuit la visite, salle de vente, tour du domaine, bientôt, les vignes. Je m'impatiente. Pourquoi avoir tout plaqué? Pascal sourit face à ma question. « Je crois que le métier de vigneron ajoute une noblesse au vin, produit déjà très précieux, qui dépasse les simples consommateurs. J'étais un amoureux inconditionnel du vin, et je voulais devenir oenologue. » L'oenologue intervient dans la fabrication du vin. Il est comme le nez d'un parfum. Il conseille les vignerons dans la création de leurs crus. Il supervise, contrôle, goûte, et veille à ce que le vin réponde à un cahier des charges et entre dans un certain cadre légal. « Mais j'ai fait mieux, après deux années d'études dans cette voie, j'ai voulu aller au-delà. Je voulais faire le vin. De la terre à la bouteille. C'était une aventure qui me passionnait. » Pascal s'est lancé. « D'habitude, lorsque l'on devient vigneron, c'est parce que l'on hérite d'une entreprise familiale, et souvent même on n’en veut pas. Moi, je me suis lancé sans antécédent. Et c'est peut-être pour cette raison que j'ai tout arrêté. » Pascal s'arrête au milieu des vignes. Les raisins sont en train de virer, ils passent du vert au rouge. Il cueille une grappe et me la tend. « Être vigneron, c'est être agriculteur, maître chai, et un peu oenologue aussi. Quand on balance du rouge dans un grand verre à ballon, en terrasse avec des amis, on ne se rend pas compte de tout ce qu'il y a derrière ce nectar. Être agriculteur, travailler la terre, se plier aux saisons et aux intempéries, c'est terriblement difficile. » L'amour de Pascal pour le vin est fort, mais son dégoût pour la terre le semble tout autant.


Le mot juste


Thierry, lui, m'a reçu dans son salon à quelques pas du chai et des vignes qui bordent le petit village de Cabara. Je n'ai pas eu à lui poser beaucoup de questions, il m'a suffi de dire que je ne connaissais pas grand-chose au métier de vigneron, pour réveiller le passionné. Il m'a énuméré, à son tour, les différentes activités de la profession. Lui aussi a mis l'accent sur la terre. « Chaque année, nous vivons au gré de la météo. On craint le gèle, plus tard les orages. On espère qu'il pleuve, puis qu'il ne pleuve plus. Mais ce n'est pas le seul problème que l'on rencontre. Il y a les maladies aussi sur le pied et les bestioles, toutes ces choses que l'on ne maîtrise pas. » Surprise d'entendre une seconde fois, cette même liste de mésaventures, je me questionne. C'est un métier qui semble terriblement difficile, autant pour le vigneron et ses multiples casquettes, que pour la vigne et les infortunes qui la guettent. « Ah oui il faut en vouloir! C'est un métier de passion, mais très difficile. C'est un métier d'acharné! » Acharné, le mot juste.

Le vigneron est surtout viticulteur, et c'est là le plus difficile selon les deux hommes. Il entretient la vigne et cultive le raisin au rythme des saisons. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, il ne connaît pas de temps de pause durant l'année. Taille, effeuillage, traite, palissage, coupe des bourgeons... Tant d'activités dont Thierry s'occupe seul avec un ouvrier. Seul l'été, pendant les vendanges, il se fait aider par des saisonniers. Pascal, lui, s'occupait de ça en famille. « On entretenait la vigne avec mon frère tour à tour, ensuite on embauchait des jeunes au plus fort de la saison. » Le viticulteur arrache également les anciennes vignes et replante de nouveaux ceps. Il supervise et participe aux vendanges, puis calibre, trie et conditionne la récolte. « La fiche de métier est plutôt vendeuse, mais la réalité est toute autre. » Pascal semble revivre ses heures noires. « Une année, mes vignes ont attrapé la maladie. J'avais beau les traiter, rien n'y faisait. On n'a pas le droit de mettre n'importe quel produit sur les pieds, en plus on avait pris le parti de faire du vin le plus naturel possible. Je n'en dormais plus la nuit, cette année-là la récolte a été très faible, tout juste suffisante pour couvrir nos frais de la saison. » Pascal ne perd pas son sourire. « C'était des heures difficiles, mais je ne veux pas retenir que ça de mon parcours. L'année d'après, il y a eu la grêle, puis celle d'après il n'avait pas assez plu... Les frais continuent de tomber eux, et la récolte était très mince. Je n'avais peut-être pas les épaules pour ce métier. » L'ancien vigneron laisse apparaître une réelle amertume, mais rebondit. « Je suis toujours un grand amoureux du vin, aujourd'hui je suis même devenu caviste! Hors de question de quitter le milieu, mais ce que je transmets à mes clients, c'est la réalité de ce qu'il se cache derrière leur verre. » Ils ne connaissent pas, mais semblent d'accord, « c'est un métier d'acharné ».


Aurélie Rodrigo

8 vues0 commentaire

Comments


bottom of page